10 janvier 2008

Histoire - L'expérience fondatrice...


"L'homme robot", Basilisca.

Atelier Peinture, Maison de Retraite Ana Teresa
Animatrice : Malena Merlo
Madrid, Espagne, 1994-95


Cette petite sélection d'œuvres (ci-dessus et ci-dessous) est issue de ma toute première expérience d'atelier peinture auprès du public âgée en institution.

A l'époque j'étais étudiante à la fac de Beaux Arts de Madrid. J'ai toujours dit que la vieillesse m'a appris d'avantage sur la nature profonde du langage artistique, que les cours à la fac...

Mon choix professionnel a été profondément marqué par cette première rencontre : je ne pouvait plus concevoir la peinture, l'art en général, comme un but en soi, mais comme un outil privilégié d'introspection et de lien social.

Ce fut donc une expérience empirique de deux ans, qui commença par des cours de dessin particuliers à ma grande tante Mary, la poétesse, qui avait toujours rêvé d'apprendre la peinture et qui depuis peu se trouvait contrainte de vivre dans une institution pour personnes âgées.

Personne ne s'attendait qu'à partir de ces cours particuliers naîtrait, petit à petit, un vrai atelier peinture amateur au sein de la structure. Mal grès les "NON!" catégoriques et méfiants du début, le désir de s'exprimer a fait son chemin chez les autres résidents. Au fil des séances, l'atelier était devenu un moment de pure jouissance, certes avec des hauts et des bas, cela fait bien parti de tout processus de création !

La directrice a bientôt constaté l'incidence de l'atelier dans la vie quotidienne des résidents : une amélioration dans le moral de certaines personnes, qui favorisait à son tour les relations entre les résidents mais aussi les rapports avec le personnel soignant, qui n'a pas tardé à faire des commandes et établir des listes d'attente pour avoir droit à l' œuvre des "artistes".

Mon intuition s'était confirmée : la capacité de création chez la personne âgée n'attend qu'une chose, être sollicitée. Nous avons tous constaté l'incidence sur l'épanouissement de la personne âgée et cela quel quel soit son niveau de dépendance.

Cette expérience fondatrice a donné naissance à "l'atelier d'expression libre" (voir Pédagogie) que j'ai perpétué depuis en tant qu'animatrice dans différentes institutions pour personnes âgées, mais aussi en tant que formatrice dans les métiers d'accompagnement et d'animation socio-culturelle au sein des CEMEA.

Voici le récit de quelques unes des rencontres que j'ai fait lors de cette première expérience...

Basilisca, 83 ans.

C'est Basilisca, une petite dame renfermée sur elle même, toujours dans son coin et qui ne parlait à personne, qui a tout déclenché. Elle nous observait dessiner, ma tente et moi, avec des grands yeux pleins de désir... Sans le penser une seconde je lui ai proposé de nous joindre. "Mais, je ne suis nulle en dessin moi". Je lui est dit que ce n'était pas grave, qu'elle pouvait essayer quand même... Petit à petit elle a su, avec mon soutien, trouver son compte. Elle prenait tellement de plaisir avec les couleurs, qu'elle a éveillé, malgré elle même, le désir chez les autres résidents.

C'était le début d'une fabuleuse expérience humaine.

Certes, elle était nulle en dessin, mais elle avait en elle l'expérience d'une vie pleine. Le besoin de l'exprimer était fort, peut-être parce que c'était tout ce qui lui restait dans son isolement présent, tout ce qui pouvait redonner un sens à sa vie... Le besoin d'exister l'a emporté sur son estime de soi.




Basilisca




Basilisca



Basilisca



Basilisca


Josefa, 81 ans.

Josefa a été la deuxième à tomber sous le charme des couleurs. L'influence de Basilisca est évidente. Josefa ne voulait rien savoir au début, elle refusait catégoriquement de participer à l'atelier en exclamant : "Dessiner c'est pour les enfants!". Plus tard elle ferait le tour de la Résidence après chaque atelier, pour montrer à tout le personnel le dessin qu'elle venait de faire en exclamant "c'est moi qui l'est fait!".

Josefa c'est inspiré de ses souvenirs de sa campagne natale : des champs labourés traversés par des ruisseaux...



Josefa



Josefa


Ci-dessous, Josefa fais une interprétation très personnelle du pot de fleurs que j'avais mis ce jour là sur la table de travail. Même si le pot reste au centre, c'est le salon où elle passe ses journées qui l'intéresse : le canapé, les coussins, les étagères avec la télé et bien sûre la grande bai vitré qui donne au jardin où elle fait sa promenade quotidienne.



"Pot de fleurs dans le salon", Josefa


Dolores, 89 ans.

Dolores, atteinte d'une polyarthrite qui ne lui empêchai pas de faire son lit tous les matins, avait des problèmes d'élocution. Dolores savait bien dire "NON!". Et c'est ce qu'elle me répondait à chaque fois que je l'invitai à nous joindre à l'atelier. Pourtant, il suffisait de lui préparer une place à la table de travail pour qu'elle s'y installe travailler!



Dolores



Dolores


Le long des deux années qu'a durée l'atelier, Dolores a réalisé près d'une centaine de dessins, toujours son "NON!" à la bouche avant de commencer.


Rosario, 78 ans.

Rosario faisait que des dessins "comme quant j'étais petite" qu'elle qualifiait de mauvais : la maison, le chemin, l'arbre et le soleil, le bateau sur l'eau... Un jour, elle nous surprend avec cette interprétation d'un autoportrait de Malevich.



"Frankestein", Rosario.


Pilar, 83 ans.

Ma tante Pilar, supposée moins douée que sa soeur Mary, nous surprend à son tour elle aussi en se laissant aller avec ces formes géométriques.



Pilar



Victoriana, 68 ans.

Victoriana c'est jointe à l'atelier bien plus tard. Elle passait un court séjour dans la structure afin de se récupérer d'une intervention chirurgicale. Elle ne s'y attendait pas du tout de découvrir ainsi le goût des arts plastiques...



Victoriana



"Maison de Dieu et boulangerie Clarita, ma voisine", Victoriana


Nieves, 87 ans.

Nieves soufrait d'une parfaite dépendance avec son entourage mais jouissait d'un esprit vif et lucide. Elle résidait au secteur médicalisé, ce qui l'angoissait et l'isolait fortement. L'atelier était pour elle une occasion parfaite pour créer un lien avec les résidentes qu'elles connaissait à pêne.




"L'Arbre de Vie", Nieves


Nieves faisait des compositions à partir de découpages que je faisait à sa demande. Elle me disait souvent " la beauté est dans la simplicité..."



Atelier animé par Malena Merlo, 1994-95
Maison de Retraite Ana Teresa, Aravaca, Madrid.